samedi 11 septembre 2010

Poètes de Tunisie Mario Scalési ( 1892-1922)




Nous consacrerons, à partir de ce numéro, cet espace pour vous présenter un poète tunisien d’expression française ou quiconque ayant vécu sur ces terres où il a ravi aux cieux l’étincelle divine de la Poésie.
Emu par l’originalité de ce jeune poète, mort à un âge précoce, nous avons voulu vous inviter, cher lecteur à le découvrir et exaucer ainsi le vœu de Claude Maurice Robert qui écrivait en 1936 «  Ce qu’il faut, c’est faire aimer Scalési dans son œuvre, en la faisant connaître »
M. Abderrazek Bannour, professeur universitaire tunisien a réuni en 1996 tous les écrits de ce poète dans une édition, la quatrième après celles des Belles Lettres (1923), La Kahéna (1930), Salibi (1935). Nous lui emboîtons modestement le pas pour vous faire connaître Mario Scalési.
Marius( dit Mario) Scalési est né le 6 février 1892 à Bab Souika d’un père italien et d’une mère maltaise née à Tunis. Sa famille est pauvre et illettrée. Tuberculeux dès sa naissance, Marius, à la suite d’une chute dans les escaliers peu éclairés d’un immeuble délabré où il vivait avec sa famille, devint infirme. Il fut atteint de la scoliose, déviation latérale de la colonne vertébrale.
Indigente, sa famille ne put lui assurer ni soins nécessaires ni instruction satisfaisante. Il quitta l’école française prématurément. Obligé de gagner sa vie, il travailla en qualité de comptable dans différentes maisons de commerce sans situation fixe.
Mais malgré les « malédictions des hommes » et « celles du Destin », Scalési ne se résigna pas. Au contraire, il compléta son instruction par des lectures diverses. Les articles de critique littéraire et les poèmes qu’il publia dans la Tunisie Illustrée, revue aujourd’hui disparue, fondirent sa réputation.
Sa vie fut un calvaire. Maudit par les hommes, il fut maltraité par le Destin. L’intensité de sa souffrance tant physique que morale est merveilleusement exprimée dans son poème Dans l’ombre dont nous citons le premier quatrain :

« Contrairement au Christ, le Sauveur ineffable,
Qui naquit dans l’étable et mourut sur la croix,
Je suis né sur la croix et je meurs dans l’étable,
Où les cris du bétail étoufferont ma voix ».

Son recueil de poésie, Les poèmes d’un maudit (89 poèmes), révèle amplement ce pessimisme prononcé d’un poète incompris, bref d’un paria.
Après une existence pénible et douloureuse, Mario Scalési mourut le 13 mars1922 dans un asile de Palerme, rongé par la tuberculose et la folie. Il fut enterré dans une fosse commune. Quel outrage à ce Baudelaire tunisien ! Ne faudrait-il pas au moins placer d’après le vœu de Pierre Mille  sur la demeure ruineuse où sa mère l’enfanta « Ici naquit Scalési, italien de Tunis et poète français »
       Ce poète « précurseur de la littérature multiculturelle au Maghreb »* est fascinant par sa triple appartenance culturelle italienne, française et tunisienne. Il est à considérer comme l’un des pionniers de la poésie maghrébine d’expression française qui connaîtra son apogée dans les années soixante.
Quant à nous, émerveillé par la poésie de Scalési qui nous rappelle parfois celle de notre grand poète Echebbi, nous ne cessons de vous exhorter à entamer ce fameux voyage à travers les mots tressés dans les ténèbres où ce poète « le sultan du sérail des mortes » vous interpelle en vous présentant son recueil :

 

 

Lapidation


Ce livre, insoucieux de gloire,
N’est pas né d’un jeu cérébral :
Il n’a rien de la Muse Noire,
De l’Abîme ou des Fleurs du Mal.

S’il contient tant de vers funèbres,
Ces vers sont le cri d’un révolté
D’une existence de ténèbres
Et non d’un spleen prémédité.

Infirme, j’ai dit ma jeunesse,
Celle des parias en pleurs,
Dont on exploite la faiblesse
Et dont on raille les douleurs.

Car, des plus anciens axiomes,
Lecteur, voici le plus certain :
Les malédictions des hommes
Secondent celles du Destin.

Dans l’abandon, dans la famine,
Honni comme un pestiféré,
J’ai fleuri ma vie en ruine
D’un idéal désespéré.

Et, ramassant ces pierres tristes

Au fond d’un enfer inédit,
Je vous jette mes améthystes,
O frères qui m’avez maudit !

                                                                     Ammar Akermi
                                                                             Professeur de français

*   Livre de Fracassetti Brondino Yvonne et  Abderrazak Bannour. Ed. Publisud 2003

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